Jamais j'aurais pensé r'taper une arme pareille, une d'honneur, gravée, sculptée... Quand j’pense que mes doigts serrent le fusil que c'te crapule de Napoléon a r'filé à l'ancien préfet, le père Ducolombier qu'est enterré d'puis des années.
Fouilla ! J'arrive pas à y croire à celle là, moi qui vais faire des courbettes à une famille de courtisans impériaux...
Après j'l'ai voulu... J'en avais marre de l'aut' chien de patron qui payait une misère. Dès qu'j'ai pu trouver ailleurs, PFFFFT, au revoir le petit Antoine, enfui. Pour qu'y m'laisse mon livret par contre, il a fallu ruser. C'est la plaie c'livret d'ouvrier,
un vrai boulet qu'on attache aux pattes des travailleurs. Encore un truc de Napoléon d'ailleurs. Sans c'carnet, impossible de commencer un travail, sans lui, impossible de l'finir aussi... C'est qu'y voulait pas m'laisser m'en aller l'aut',
alors j'ai commencé à être odieux, à plus rien turbiner. Ça a même failli s'terminer en sabotage c't'ânerie ! Puis l'nabot a fini par s'épuiser et m'l'a rendu. « Congédié pour insubordination », CHLAC, merci, bonsoir, c'est gentil d'êt' passé.
Pour qu'Antoine puisse trouver un autre emploi, il doit récupérer son livret d'ouvrier, alors conservé par son employeur. Aidez-le à le récupérer.
Vous avez aider à récupérer le livret d'ouvrier d'Antoine. Il va pouvoir travailler pour un autre employeur.
Chez Verney-Carron c'est aut' chose. Le patron a gagné un prix artistique quand il était minot, et les armes qui transitent par ici sont autrement plus distinguées. Puis c'est sûr qu'ça paie mieux...
D'ici quelques mois j'aurai assez pour d'mander la main d'Adeline, sa main toute blanche et toute fine que j'aimerais sentir dans mes cheveux et sur mon visage...
Oh ! Mais y va s'taire le crieur de journaux ! On s'entend plus penser ! Ouilla ma tête... En plus c'est pour vendre c’te fichue feuille de chou de Mercure Ségusien. « J'en veux pas d'ton truc de bourgeois ingrats ! »
Merci, mais les Guizot et aut' Louis-Philippards, j'en ai plein le dos ! C'est c'que je m'évertuais d'expliquer à François hier, avant qu'une vieille bourgeoise aveugle nous rent' dedans. Tiens, bah, v’là le café où j'ai perdu l'nord.
Et dire qu'la soirée avait commencé par une banale partie de coinche. Sauf qu’la coinche, ça s'marie bien avec la piquette. Forcément, ça pouvait qu'débarouler.
La première partie d'coinche en a appelé d'aut' et les bouteilles de picrate ont aussi répondu à l'appel. On a fini par préférer les bouteilles à la coinche, de toute façon on comprenait plus rien et y manquait la moitié des cartes.
Là, les copains ont voulu que j'lise le journal. C'est que, parmi ces sacrés gaillards, aucun sont d'bons lecteurs... Moi j'ai l’truc. Petiot, y'avait des mots qui tout par un coup m'emmenaient ailleurs. « Myriade » par exemple.
Ça m’faisait penser à des quantités innombrables de pièces en or, une « myriade de merveilles ». Plus tard j'ai compris qu'bien parler ça sert aussi à s'démêler d'drôles d'affaires. C'est grâce à ça qu'y m'a embauché le père Verney, à mon bagou bien propret.
Le canard du café racontait c’qu’y s’passe en Algérie, cette conquête qui en finit plus... 14 ans qu'on y est et qu'on y fait je n'sais quoi avec je n'sais quelle arme d'ailleurs...
L'Algérie ça m'parle un peu, ça m'fait penser à des poèmes de c'bougre d'Hugo qu'j'aime bien :Adieu donc ! Va tout droit. Garde-toi du soleilQui dore nos fronts bruns, mais brûle un teint vermeil !
Ça m’énerve ces trous d'mémoire creusés par la vinasse ! Maint'nant j'sais plus où qu'est passé mon joli couteau ! J'étais tellement content d'l'avoir trouvé...
Ça r'monte à quelques s'maines c'te trouvaille, quand j'étais allé voir la cousine Mariette à Genilac. Dans son champ j'l'ai récupéré ce p'tit eustache.
Bon aller, mon vieux, on passe devant l'Jeu de la Loyauté et on est presque rendu. Sacré François ! Quand j’pense qu'y m'a fait adhérer à c'truc... Un baveux ! « Bonjour Monsieur je souhaiterais épouser votre fille Adeline en ma qualité d'armurier baveux... »
N'importe quoi. Après c'est sûr qu'la sarbacane ça m'amuse bien, mais bon, j'pensais qu'un souffleur était un chevalier, pas un baveux... Le gosse ça l'passionne ce truc.
Aux beaux jours il est toujours là à nous r'garder souffler dans la cour. C'qu'y préfère c'est l'tir au papegai, quand on essaie d'démolir un oiseau d'bois qu'on a perché à 8m de hauteur.
Faites glisser la fléchette vers la droite
C'est comme ça qu'j'l'ai connu d'ailleurs. Le gosse nous r'gardait souffler avec ses grands yeux, puis il était v'nu m'dire :
- "Vous êtes très fort m'sieur."- "Merci p'tit."- "Vous pourrez m'apprendre ? Moi aussi j'veux en être !"- "De quoi ? Un baveux ?"
- "On dit pas chevalier ?" - "Aussi, mais bon, baveux on l’dit plus souvent."- "Ben j'aimerais bien en être, j'crois même qu'c'est mon rêve."- "Oh non gamin, rêve pas d'ça, c'est pas un vrai rêve ça."- "Ben qu'est c'qu'y a d'aut' ?"
- "Tout commence ici p'tit, un homme qui pense c'est un homme qui s'ra toujours libre. Et pour penser mon b'let, y faut lire, manger du bouquin et des mots, les mots c'sont des myriades de merveilles tu comprends ."
J'sais pas s'il comprenait l'gosse mais y continue à venir, régulièrement, et on s'entend bien.
Y'a pas à dire, ça m'détruit d'aller les voir les préféctoraux napoléoniens, mais pas d'napoléoniens, pas d'Adeline... Aller mon vieux t'arrête tes âneries...
J’arrive pas à y croire ! Mais qu’est c'qui fiche là !!! Et dire qu’en 48 on s’était battu comme des acharnés avec le François ! On l’avait eu not’ République, on avait fini par l’imposer l’suffrage universel ! Bim !
Adieu monarchie du Louis-Philippe, Paf ! Bonjour liberté républicaine ! Et comme son oncle il est v’nu tout gâcher... R’gardez moi ces débiles à applaudir … « Vive le prince-président ! Vive Louis Napoléon Bonaparte ! »,
à bas la sal’té impériale oui ! Comme si y v’nait à Saint-Étienne par hasard... Y croit qu’on l’voit pas v’nir !
Dans quelques mois à tous les coups y s’fait sacrer empereur aussi çui-là ! Oh mais y pourra compter sul’père Antoine... J’ai plus rien à perdre moi : les fusils d’luxe c’était plus possib, trop d’courbettes et d'tralala ;
l’Adeline elle a son mineur mou du g’nou « parce qu’il est plus présent tu comprends Antoine », nan j’comprends pas et j’m’en fiche ; Julot, grand gaillard qu’il est il a plus b’soin d’moi, mais toi mon p’tit père Napoléon,
toi t’inquiète pas qu’avec le François, on t’en prépare des bien bonnes...
Merci d'avoir écouté Antoine
Oh la vache c’que j’ai honte... Si on m’avait dit ça y’a quelques années... Moi qui m’retrouve à applaudir le neveu de l’aut' crapule...
C’est qu’elle m’a pris au dépourvu l'Adeline avec son envie subite « Aller viens Antoine, allons voir le prince-président Louis Napoléon qui passe à Saint-Étienne. » On lui répond quoi à sa femme quand elle vous lance des trucs comme ça?
On lui dit quoi à la mère d’ses matrus ? « Nan, vas-y toute seule comme une grande, ce type est un minable et toi t’es pas fichue d’voir qu’y nous fait un coup d’État » ?
On peut pas dire des trucs pareils... Si Julot m’voyait y s’rait pas fier... Quand j’pense que tout gosse y disait qu’j’étais son héros. Il a rien d’héroïque son héros... Pendant s’temps là l’père François y change le monde à Paris lui...
Quel fumier c’François ! « T’as changé » qu’y m’a dit, « l’mariage ça t’a pas fait du bien », jaloux oui ! Ça doit bien faire trois ans qu’j’l’ai plus vu l’père François. Et dire qu’c’est l’parrain d’mon premier gamin... Y m’manque c’t’ordure...
Merci d'avoir écouté Antoine